En général, il s'agit de la première réaction lorsque j'annonce que je quitte le père de Petite Elfe. "Et ta fille? Tu y as pensé?". Alors voilà, je suis une fille polie, je réponds toujours cordialement mais en-dedans je bous.
Parce que d'abord, puisque ces gens croient me connaître, comment peuvent-ils oser poser une telle question? Comment ignorer que cela fait deux ans que je vis par et pour ma fille? Deux ans que je m'occupe intensivement d'elle dès que nous sommes ensemble. Deux ans que ces mêmes gens me reprochent de trop m'occuper d'elle. Délicieux paradoxe... un jour ils jugent que je m'occupe trop d'elle, le lendemain que je ne pense pas à elle. Bande
Alors voilà... à vous tous les curieux, les emmerdeurs d'un jour, les donneurs de leçon, à vous qui parlez pour parler, sachez que...
Je n'ai pensé qu'à elle. A ma fille qui refusait de dormir. A l'enfant que chaque soir je berçais des heures contre mon sein en attendant d'entendre sa respiration ralentir, de sentir son petit corps devenir lourd entre mes bras. A ma fille qui pleurait beaucoup et dont les yeux criaient la souffrance. A mon enfant aux besoins soudain intenses et que je ne comprenais pas.
Et j'ai compris. Ce que je n'avais pas su voir, et pas su dire, elle le savait. Depuis le premier jour. Depuis les heures accrochées à mon sein comme pour oublier le monde désordonné qui tournait autour d'elle. Depuis les longues minutes à hurler dans son lit chaque fois qu'elle avait besoin de dormir, refusant mes bras tout autant que le cocon de ses draps.
Ma fille savait ce que je refusais de voir. Alors elle m'a poussé à bout...au bout de mes réflexions. Mon enfant d'un an à peine m'a ouvert les yeux par la porte des siens.
Alors j'ai pris ses mains si minuscules entre les miennes, j'ai plongé mon regard au fond du sien et ouvert la porte de mon âme déchirée. Et je lui ai dit...
Je lui ai dit que ce que nous vivions, son père et moi, n'était pas de l'Amour. Que c'est ailleurs qu'elle devrait trouver un modèle de couple. Que je l'aimais, que son père aussi mais que nous ne nous aimions plus, nous les adultes.
Je lui ai dit que ce n'était pas de sa faute. Qu'il fallait se séparer pour pouvoir correctement continuer à l'aimer, ELLE, et que c'était l'essentiel.
Je lui ai dit qu'un jour nous partirions vivre dans une autre maison, et que son père aussi trouverait un nouveau chez-lui. Qu'on ne se verrait plus tous les jours mais le plus souvent possible.
J'ai senti ma gorge se nouer, des larmes invisibles dévaler les pentes de mes joues et apaiser ma peine.
A cet instant j'ai su que le monde avait changé. Que rien ne serait comme avant, que, plus que jamais, j'allais savoir ce que signifiait "assumer ses actes". J'avais donné la vie, j'avais la charge de guider cette vie jusqu'à ce qu'elle ait en mains les clés pour la reprendre. Je suis une mère, ce n'est pas rien. Je n'ai pas le droit de refuser à ma fille de connaître l'Amour. Je ne peux pas la priver d'un modèle de famille. Je n'ai pas le droit de faire semblant d'être celle que je ne suis pas car mon sang coule en elle et à elle je ne peux mentir.
A compter de ce jour, Petite Elfe a changé. Elle a dormi plus sereinement, spontanément a accepté de dormir seule. La malice a pris dans ses yeux la place de la colère. Non, bien sûr, tout n'est pas parfait. Notre situation compliquée n'arrange pas les choses. Mais ma fille sait maintenant ce qu'il en est. Depuis un an je ne lui ai pas menti, je ne lui ai rien caché, de toute façon cela ne sert à rien, ceux qui la connaissent comprendront ici de quoi je parle.
J'ai une enfant-lumière, dont j'ai la charge de faire un soleil et sachez que je ne pense qu'à elle...